AAPAAC « Maîtres des horloges ? Pouvoir, autorité et temporalité(s) en culture de l’écran », Université Paul-Valéry Montpellier 3 Montpellier, 28-29 septembre 2023
Chronocenosis is a way of theorizing not simply the multiplicity but also the conflict of temporal regimes operating in any given moment. Our point is that power and time interface amid intensely competitive temporal formations and not simply parallel or layered ones (…) We argue that power operates by arranging, managing, and scaling temporal regimes and conflicts. At the same time, these fault lines function as seams of structural weakness and possibility: power is often undone in the cut and thrust of temporal antagonisms. (Edelstein, Geroulanos & Wheatley, 2020, 4)
Le pouvoir politique apparaît traditionnellement comme consubstantiellement associé au contrôle de la temporalité – l’on se souviendra du candidat présidentiel Emmanuel Macron se définissant, en avril 2017, face aux médias – télévisuels en particulier – comme le « maître des horloges », ou d’Andrew Card, Chief of staff du président George W. Bush expliquant, à propos du timing de la campagne médiatique orchestrée par la Maison Blanche pour imposer à la guerre en Irak, « You don’t roll out a new product in August ». Contrôler la communication politique en contrôlant le calendrier des annonces ou des actions, « maîtriser la séquence », accélérer ou différer le dévoilement d’une invasion militaire ou d’un texte de loi, l’annonce de la tenue d’élections ou de leur suspension, décréter l’état d’urgence – toutes les stratégies temporelles participent de l’exercice du pouvoir. Dans une société de l’écran, la relation entre autorité politique et gouvernés passe par une mise en scène des gouvernants, notamment lors de performances et de spectacles ritualisés selon un calendrier civil et institutionnel en partie imposé, mais qui peut être bouleversé par le pouvoir autocratique lui-même, lors de coups d’État y compris avorté (voir l’assaut sur le Capitole du 6 janvier 2021, encouragé par le président américain sortant pour empêcher la certification des résultats de l’élection présidentielle et l’investiture du président-élu). La montée actuelle des extrêmes-droites, aux États-Unis comme en Europe, oblige plus largement à repenser le temps des démocraties parlementaires non plus comme éternel, mais comme compté, sur fond de révolutions possibles, et leur durée de vie comme peut-être éphémère, sur fond d’horizon dystopique (retour du fascisme, crainte d’une nouvelle guerre mondiale ou d’une guerre nucléaire depuis la guerre en Ukraine), ou utopique (révolution vers des sociétés plus égalitaires et plus justes, si comme le disait Lénine, la guerre est un accélérateur de l’histoire). Car dans le même temps, et de manière accélérée, la temporalité d’une « croissance économique » sans fin, indissociable du discours capitaliste hégémonique et de la promesse de prospérité comprise comme la consommation de biens et de ressources, est fondamentalement remise en question par la crise climatique qui est désormais celle de l’urgence vitale, non pas « pour la planète », mais pour toutes les espèces vivantes, dont la nôtre. Le pouvoir politique apparaît lui-même comme contraint par des temporalités multiples, et notamment par ces urgences qui constituent la « polycrise » actuelle, selon la terminologie de l’historien Adam Tooze (crise climatique, crise politique et sociale, guerre, crise énergétique, pandémies en cours et à venir) ; ceci alors même que toute crise ne peut se comprendre que comme s’inscrivant dans le temps long, et comme résultant d’actions politiques sur des siècles (voir ce que dit Timothy Mitchell de l’histoire des démocraties capitalistes comme indissociable de l’exploitation des énergies fossiles, du charbon au pétrole) tout comme d’inaction délibérée et de mensonges depuis des décennies (voir Naomi Klein sur le climato-scepticisme financé par les milliardaires). L’on peut analyser la manière dont différents pouvoirs et autorités s’affrontent, dans notre moment contemporain, sur fond de représentations divergentes de la temporalité et de la notion d’urgence (scientifiques du GIEC face aux politiques, militants d’Extinction Rebellion face aux partis « traditionnels », etc.). Alors même que la sixième extinction a déjà emporté 65% des espèces vivantes de notre planète (Kolbert), que la fonte de 50% des glaciers mondiaux est désormais irréversible, et que s’annoncent des guerres inéluctables autour des ressources raréfiées comme l’eau, et à l’heure où se créent des néologismes comme la « solastalgie » (Albrecht) pour exprimer les formes spécifiques de l’éco-anxiété, l’on peut avoir le sentiment de vivre dans la satire Don’t Look Up (Adam McKay, 2021). On s’interrogera évidemment sur les manières dont le rapport entre pouvoir et temporalité(s) est mis en lumière (ou occulté) en culture de l’écran. Même s’il est admis depuis Stuart Hall que les publics peuvent négocier ou contester les messages idéologiques diffusés par la télévision, comprendre ce qui se joue entre pouvoir et temporalité requiert de sortir du « flux » télévisuel comme machine à fabriquer le consentement (Chomsky). Tant Marshall McLuhan que Pierre Bourdieu ont pu souligner combien les formats télévisuels – non seulement dans les entretiens en direct avec les figures d’autorité et de pouvoir, mais dans les émissions de débat, ou dans le « journal télévisé » rendent impossible un discours critique sur le plateau. Seul l’arrêt sur image, la possibilité de « rembobiner et revoir », et celle de vérifier les assertions du pouvoir ou d’en exposer les changements de discours, manipulations et mensonges grâce à l’archive audiovisuelle (Baron, Doane) permettent aux spectateurs une véritable distance critique. On pourra ici contraster le travail du documentaire politique (Kahana, Nichols), avec celui des médias. On pourra également scruter comment la fiction, notamment dans les récits cinématographiques ou sériels audiovisuels, peut donner à voir les temporalités multiples dans lesquelles le pouvoir politique s’exerce, et installer les spectateurs dans ces temporalités, de saison en saison, dans The West Wing ou, de manière plus brutalement démystifiante, dans House of Cards. La fiction permet d’imaginer des ruptures temporelles générant d’autres formes de pouvoir ; ces dystopies permettent au public l’expérience imaginaire non seulement de la catastrophe, mais de formes du pouvoir et de l’autorité dictatoriales, avant qu’elles n’adviennent, et pour qu’elles n’adviennent pas. Les uchronies (littéraires comme cinématographiques) bouleversent ainsi souvent la temporalité à partir d’un événement qui a marqué l’imaginaire collectif pour nous donner à voir une réalité alternative où les questions du pouvoir autoritaire et de la résistance qui s’organise sont centrales, comme dans The Man in the High Castle. Les textes dystopiques et/ou post-cataclysmiques qui reposent sur une rupture temporelle définissant un avant et un après permettent toujours à la fois de projeter un futur possible et de le poser en regard de notre présent. Pétro-fictions (Mad Max Fury Road), dystopies patriarcales (The Handmaid’s Tale), éco-fictions « rejouant » des textes canoniques (Station Eleven), ces récits posent très clairement des enjeux politiques et/ou des enjeux de domination résultant du contrôle du temps ou de la temporalité autant que de territoires, l’espace et la temporalité des récits – y compris intra-diégétiques – ouvrant des brèches voire des horizons possibles. Alors que d’après l’horloge de la fin du monde, nous ne sommes plus, début 2023, qu’à 90 secondes de minuit, on pourra interroger la manière dont la fiction peut chercher à nous faire sortir du présentisme (Bertrand Gervais, François Hartog) et de la paralysie, en nous donnant à voir des temporalités multiples, pour penser la rupture politique autant que temporelle nécessaire à la survie collective dans un monde plus juste.
Ce colloque clôt le cycle de colloques « Pouvoir et autorité en culture de l’écran » coorganisé par cinq laboratoires (EMMA, TransCrit, ACE, HCTI et Figura) au sein de cinq universités (Paul-Valéry Montpellier 3, Paris-8, Rennes-2, UBO, et UQAM). Après « Monitorer le présent : L’écran à l’ère du soupçon » (UQAM, automne 2019), « Biopouvoir en culture de l’écran » (Rennes-2, septembre 2021) et « Pouvoir et autorité à l’épreuve des vulnérabilités » (Paris-8, septembre 2022), le cycle s’achève donc sur « Pouvoir et temporalité(s) en culture de l’écran ». Il s’inscrit aussi, après « Temporalités alternatives : uchronies, mondes parallèles et rétrofuturisme » (UQAM, 17-19 mai 2023), dans un nouveau cycle de colloques autour de la notion de « Temporalité(s) », qui réunira l’UQAM, l’Université Paul-Valéry Montpellier 3, Paris-8, Rennes-2, l’UBO, l’Université de Bourgogne (avec le centre de recherche TIL) et l’Université de Poitiers. Les propositions issues de toutes les disciplines -- étude des médias, sciences politiques, philosophie, études audiovisuelles et cinématographiques, littérature contemporaine, histoire (etc.) -- sont les bienvenues. Les propositions peuvent se faire en français ou en anglais. Les abstracts de 500 mots suivis d’une courte bio-biblio sont à téléverser – en format PDF exclusivement – au lien suivant : https://easychair.org/conferences/?conf=clock23 Date limite pour envoyer un abstract : 1er juin 2023 Retour du comité scientifique : 15 juin 2023 Comité scientifique Lucie Bernard (U. de Bourgogne), Karim Daanoune (UPVM), Elaine Després (UQAM), Bertrand Gervais (UQAM), Mélanie Joseph-Vilain (U de Bourgogne), Hélène Machinal (Rennes 2), Camille Manfredi (UBO), Hervé Mayer (UPVM), Denis Mellier (U de Poitiers), Monica Michlin (UPVM), Arnaud Regnauld (U Paris-8), Raphaël Ricaud (UPVM) Shannon Wells-Lassagne (U de Bourgogne). Comité d’organisation local : Karim Daanoune, Philippine Fauchier, Manon Lefebvre, Hervé Mayer, Monica Michlin, Raphaël Ricaud, Joséphine Sourgnes.
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